Pavillon de la danse

Pavillon de la danse

Photo: Architecte Jean Camuzet / Bureau lausannois ON


Résidente à la Salle des Eaux-Vives, l’Association pour la danse contemporaine (ADC) devait prendre ses nouveaux quartiers à la Place Sturm (Vieille-Ville) en ce mois de mai 2020, après 12 ans de gestation. Pandémie oblige, le déménagement est repoussé jusqu’à nouvel avis.

Entretien avec Anne Davier, à la Direction de l’ADC depuis 2017.


L’ADC a 24 ans… Qu’est-ce qui a motivé sa naissance en 1986 ?

À Genève, l’ADC se crée avant tout pour parer à une menace. La présence de la danse à la Salle Patiño, principal poumon du développement de la scène expérimentale à Genève, est alors mise en péril. La Fondation Patiño considère en effet avoir accompli sa mission initiale de soutien à la danse et s’estime relayée par le Festival de Vernier et celui de La Bâtie. Sentant le vent venir, un petit groupe se mobilise. L’ADC est ainsi fondée par Philippe Albèra, alors directeur de Contrechamps et coordinateur de la Salle Patiño, Nicole Simon-Vermot, administratrice du lieu (et encore aujourd’hui administratrice de l’ADC), Noemi Lapzeson, Jean-François Rohrbasser, ainsi que quelques passionnés de danse. La création de cette association a permis de structurer, positionner et affirmer la danse contemporaine comme un domaine à part entière à la salle Patiño. L’ADC, sitôt constituée, part en quête d’une subvention publique. À l’époque, aucune ligne de crédit n’est encore affectée à la danse dans le budget culturel de la Ville de Genève, hormis pour le financement du Ballet du Grand-Théâtre. En 1987, l’ADC est la première structure associative dévolue à la danse à obtenir une subvention de la Ville (80’000 francs). La Salle Patiño hébergera l’ADC et continuera à accueillir une programmation en danse (créations locales, spectacles internationaux, stages), à ceci près qu’il revient désormais à la seule ADC de la gérer et de décider de ses orientations.


L’année 1989 voit se produire deux changements : d’une part, la création au sein de l’ADC d’un collectif de danseurs et chorégraphes, Vertical Danse, autour de Noemi Lapzeson; d’autre part, la mise à disposition pour l’ADC, par la Ville de Genève, d’un studio de danse à la Maison des Arts, dans l’ancienne Maison du Grütli. La programmation de l’association se déploie dès lors entre ce nouveau studio (pour les cours, les stages et les spectacles de jeunes chorégraphes locaux) et la Salle Patiño (pour les spectacles invités et les créations genevoises). En 1996, les associations doivent quitter la Fondation Patiño et décident de partir ensemble. Commencent alors les « années nomades » pour l’ADC. La programmation de l’ADC trouvera asile dans diverses salles genevoises, tandis que ses bureaux, partagés avec les anciens de Patiño, se poseront rue de la Coulouvrenière, tout près de l’Usine.


Le projet de la Place Sturm devait s’intituler "Maison de la danse". Il se nomme désormais "Pavillon de la danse". Ce projet a-t-il été revu en cours de route ?

Tout au long des années 1980, des combats collectifs ont mobilisé les danseurs indépendants: pour la reconnaissance de leur art et de leur métier, pour la conquête de lieux de travail et de soutiens financiers par les pouvoirs publics. Régulièrement formulé dès les années 90 par les associations et témoin d’un véritable manque, l’espoir de voir se créer des « maisons de la danse» ne cesse de resurgir, tant en Suisse romande qu’alémanique.
L’ADC a formulé le projet d’une Maison de la danse en 1997. Soutenue alors par un groupe de travail constitué du milieu professionnel de la danse, l’association a présenté un dossier conséquent (études de sites, enquêtes et sondages auprès du public, impacts, budgets, programmes, etc.) à la Ville et au Canton. L’ADC leur présente trois projets : L’aménagement du site industriel de la SIP à Châtelaine, un projet esquissé par le bureau d’architectes Ferrero-Delacoste-Empeyta. La construction d’une Maison de la danse sur la parcelle appelée le Triangle Tivoli, situé à l’extrémité de la route des Jeunes, projet esquissé par les architectes Baillif & Loponte, qui sont d’ailleurs les premiers à penser pour notre projet à une construction de type pavillonnaire. Et l’implantation dans le projet du centre socioculturel dit l’Escargot, à Lancy, sur le site des Palettes au-dessus du nœud autoroutier – projet réalisé par de Planta Architectes, porté par le service culturel de Lancy et retenu par la Ville, le Canton et l’ADC en 2002 (les deux autres étant situés sur des parcelles situées en zone industrielles ne sont pas retenus).


Provisoirement, l’ADC a trouvé un refuge dans la salle communale des Eaux-Vives, réaménagée pour la représentation de l’art chorégraphique, dans l’attente de son implantation à Lancy, prévue en 2006. Entre temps, un groupe opérationnel pour une Maison de la danse à Lancy est constitué, composé des représentants de la Ville de Lancy, de l’État et de la Ville de Genève ainsi que de l’ADC. Ce groupe débat des différents aspects juridiques, organisationnels et financiers du projet. La Ville de Genève et l’État s’engagent à participer au financement du fonctionnement de la Maison de la danse. La Ville de Lancy assumera seule le coût de la construction de l’Escargot. Surtout, nous travaillons auprès de la population de Lancy pour les familiariser à la danse contemporaine, notamment en installant une scène de danse en plein air dans le parc de la Villa Bernasconi et sur laquelle nous proposons une programmation pendant trois semaines en été. Nous mettons sur pied toujours avec le service culturel de Lancy une cellule de médiation, et proposons des actions de sensibilisation dans les écoles.


Mais un référendum porté par les groupes radical et libéral donne lieu à une votation populaire dans la commune de Lancy. À la suite du dépôt de ce référendum, un comité de soutien se forme pour défendre ce projet d’envergure régionale. Nous récoltons 12’000 signatures sur papier pendant l’été 2006 pour soutenir le projet ! Mais le vote des lancéens aboutit à un résultat négatif (4’345 Lancéens, sur les 7’055 qui se sont exprimés). C’est comme cela que la Maison de la danse à Lancy a été enterrée.


Mais voilà : la Ville de Genève à qui appartient Salle des Eaux-Vives s’attendait à récupérer ses locaux afin de redonner aux habitants du quartier l’usage de ce lieu. Que faire ? Après l’échec cuisant de la Maison de la danse, en 2006, le coup de frein a été brutal. Perdre par référendum a mis tout le monde à terre. Le projet d’une Maison de la danse et notre acharnement à y croire nous a rendu politiquement légitimes, mais la votation populaire a refroidi les cœurs des élus. Ce constat somme toute plus réaliste qu’optimiste nous a guidé, au lendemain des élections, dans l’élaboration d’un nouveau projet qui puisse permettre à l’ADC de poursuivre ses activités. Il nous fallait en effet dans un court terme projet pour permettre à l’ADC de poursuivre et développer ses activités, et à la Ville de récupérer sa salle communale. Ce projet se complétait par les 3 studios de créations que nous gérons à la Maison des arts du Grütli. Sans volume en sous-sol, nous avons défendu ce Pavillon comme étant un proche cousin du théâtre du Loup. C’est l’ADC qui a porté ce projet et cherché une parcelle sur laquelle le poser. Nous avons étudié une quinzaine de pistes ! Finalement, 4 d’entre elles ont été retenues et étudiées par La Ville de Genève : Edipresse au Bois-des-Frères, la parcelle des Péniches, le triangle Tivoli, la place Sturm. Seule Sturm a reçu les feux verts pour une étude plus poussée.

Ce projet s’inscrivait dans un court terme… Nous ne pensions pas alors qu’il nous faudrait 15 ans pour le voir aboutir.

(Toute la chronique de 1997 à 2020 est lisible dans sa totalité sur le site de l’ADC : https://adc-geneve.ch/pavillon-de-la-danse/1997-2006-une-maison-de-la-danse/). 


Concrètement, qu’est-ce qui changera entre le projet actuel (Salle des Eaux-Vives) et celui de la place Sturm ?

Le Pavillon de la danse a été pensé pour la danse. Il est fonctionnel et adapté à cet art. Il est au centre-ville et donne une nouvelle visibilité à l’ADC et à la danse. Un théâtre neuf pour la danse, ça change tout. Ce qui ne change pas, c’est le rapport de proximité avec le public. La jauge de 180-200 places nous permet de sortir des accueils people, tout comme elle nous permet de porter la création locale et régionale sur des séries de résidences plateau et de représentations plus longues. 


Quelle marge de manœuvre l’équipe de l’ADC a eu sur la définition de ce projet ?

Comme le projet a été pensé et porté par l’ADC, nous avons eu depuis le début jusqu’à aujourd’hui un rôle entier à jouer. Nous avons dans un premier temps défendu le projet devant les politiques de la ville de Genève, à maintes reprises. Une fois le crédit d’études voté, le concours est lancé au printemps 2013. Au préalable, l’ADC a travaillé sur le programme très détaillé, validé par la ville de Genève. Nous avons mandaté l’ingénieur scénographe Alexandre Forissier pour rédiger avec l’ADC les détails de ce concours. Lorsque le lauréat a été désigné, le travail a commencé, dès 2014, avec la Ville de Genève et l’ADC, qui a mandaté à ce stade le directeur technique de l’Arsenic, Daniel Demont, pour suivre avec l’ADC l’évolution du projet. A ce jour, près de 80 réunions se sont tenues pour faire avancer le projet, de la phase concours à celle de l’avant-projet, jusqu’à la phase actuelle, de réalisation. J’ai été présentes à toutes ces réunions, avec Daniel. Nous avons pu intervenir et faire entendre notre voix dans tous les choix et participé à la plupart des débats. Au moment du vote du crédit de construction, le budget du projet dépassait de 1.6 millions. L’ADC a trouvé 1 million auprès d’une fondation privée genevoise pour compléter ce budget. Cet apport a sans doute joué un rôle dans le vote du crédit de construction, en 2017. Globalement, sur les principaux points, nous avons pu défendre au plus juste ce projet et avons été écoutés. C’est un travail que nous avons pu réaliser ensemble, avec la Ville de Genève, les architectes, les différents mandataires et l’ADC. Par rapport à notre projet initial, nous avons aussi été confronté à des réalités de terrain et de budget.


Une architecture et un lieu appropriés à la danse changent-ils la manière de penser une saison ?

La Salle des Eaux-Vives est un espace que nous avons appris à aimer, mais qui est très bricolé. Indéniablement, le Pavillon est beaucoup plus maniable. C’est un outil professionnel qui possède une agilité avec différentes configurations de salle, et cela nous permet de penser à des dispositifs nouveaux, y compris avec le public, puisque nous aurons une petite salle destinée à des activités de médiations. Mais il est à noter que le budget de fonctionnement de l’ADC va rester identique. Pour la Ville, c’est un déménagement, le Pavillon permet à l’ADC de poursuivre ses activités, pas de les déployer… ce qui n’empêche pas aux projets de germer tous les jours.


"Concorde espace culturel" devrait voir le jour à Genève (Vernier) en septembre 2023. Que penses-tu de ce projet ?

C’est un projet ambitieux, avec des espaces intéressants pour le développement de la danse : les locaux pour la formation CFC danse de Genève, des studios, une black box, des possibilités de résidences d’artistes… Je me réjouis d’imaginer que nous pourrons tisser des collaborations avec les porteurs de ce projet, d’autant que nous collaborons avec le service culturel de Vernier (actuelle salle du Lignon) dans le cadre du passedanse depuis plus de dix ans.


L’ADC dans 10 ans, c’est où, comment, avec qui et pour qui ?

Le Pavillon est sur la place Sturm moyennant une convention signée avec le voisinage, qui stipule une implantation de 8 ans. Il faudra d’ici là renégocier. Soit nous pouvons rester, soit nous devons partir et trouver un nouvel emplacement (le Pavillon est démontable et remontable). Nous pourrions alors envisager des adjonctions à l’actuel Pavillon : studios, petite scène, café ouvert tous les jours, tout cela devra être repensé et reformulé en fonction des contextes politiques et culturels.  


A tout instant, écrivait Musil dans L’Homme sans qualité, le monde pourrait être transformé dans toutes les directions, ou du moins dans n’importe laquelle. Il serait original de se comporter non pas de manière définie dans un monde défini, mais comme une femme ou un homme né.e pour le changement dans un monde créé pour changer. C’est-à-dire à peu près comme une goutte d’eau dans un nuage. Aujourd’hui, qui peut savoir ce que nous serons dans dix ans ? Les projets fleurissent tous les jours et les ambitions sont nombreuses. Avec le recul, ce dont je suis sûre, c’est que rien n’arrivera par le haut. Les propositions, les pas en avant, les développements quels qu’ils soient sont toujours impulsés par la base. Si les projets sont convainquants, adéquats et solidement argumentés, s’ils s’enracinent dans un terreau fertile et ne piétinent pas les platebandes voisines, s’il y a du travail derrière, parfois des années de travail, ils peuvent alors rencontrer des politiques inspirées, des contextes favorables, se développer et avoir une résolution heureuse : c’est dans ce type de dynamique que nous travaillons à l’ADC. 


Parallèlement à sa saison chorégraphique composée de coproductions et d’accueils, l’ADC gère 3 studios de danse à la Maison des arts du Grütli, édite un Journal (2 parutions par an), tient un centre de documentation ouvert au public, développe des actions de médiation, collabore avec les écoles professionnalisantes de danse (Ballet junior, CFC danse et Manufacture) et s’inscrit dans le réseau régional, suisse  et international. Elle emploie 9 collaborateurs (administration, technique, entretien et médiation) pour un taux équivalent à 5.8 postes. Elle bénéficie d'une convention quadriennale avec la Ville de Genève.


Mai 2020 / Propos recueillis par les RP_Barbara Yvelin


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